Bigeard au bout de la « piste sans fin »
Un texte signé Alain Beaumont
Sur cette photo, notre célèbre colonel a l'air mal à l'aise
dans sa tenue de général. Après avoir "avalé stoïquement la couleuvre" de l'Algérie Française, une étonnante carrière allait lui permettre de finir en beauté, non pas sur un champs de bataille, mais dans un ministère poussièreux parisien.
Le 18 juin, le "Colonel" nous quitte à l'âge de 94 ans dans l'indifférence générale,
En d'autres pays on en aurait fait un maréchal.
Chez Bigeard on mourait « rasé de près » pour une France qui « croit et qui ose » (croire et oser : devise de son régiment en Algérie). Et il en a eu des résultats, ce héros de la guerre moderne, et avec lui toute une génération d'officiers qui avaient pour la France l'ambition de servir une grande nation et de grandes valeurs. Il traversa notre histoire contemporaine sans que jamais ne manque un « politique » prêt à lui accrocher un ruban de plus sur sa poitrine bardée de toutes les bravoures commémorant pourtant de tragiques défaites politiques...
Il y avait sur son impressionnante panoplie de décorations la commémorative de l'Algérie. Il y trouva dans la suite de l'Indochine, la gloire, les honneurs et la légende : lui, Bruno sur la fréquence, dès que « ça accrochait », que « c'était difficile », qu'il fallait y aller, et ce avec de formidables paras sur « une piste sans fin » , où la fin que préparaient les politiques serait tragique.
Pourtant on n'entendit pas Bruno sur la fréquence en avril 61, où les plus brillants de ses compagnons d'armes, se fichant éperdument de leurs prochaines étoiles ou de leur prochaines barrettes, pensaient que : « A un soldat à qui on peut demander beaucoup, en particulier de mourir, on ne peut pas demander de tricher, de se dédire, de mentir, de se renier ou de se parjurer », comme le déclara le commandant Hélie de Saint-Marc au haut tribunal militaire qui vit passer l'élite d'une armée dont Bigeard se réclamait.
Dans une Algérie de 12 départements français, promise aux égorgeurs, Bruno n'était pas sur la fréquence pour sauver ses formidables commandos Georges et Cobra (formés de rebelles ralliés, de pieds-noirs et de musulmans) qui furent désarmés, livrés et massacrés dans l'horreur par le FLN.
Il n'était pas non plus sur la fréquence quand des torrents de sang se déversaient sur Alger et Oran, laissant à Katz et à Debrosse le soin de briser tout ce qui pourrait encore se lever pour croire et oser pouvoir s'opposer à l'abandon de ses populations.
Bruno n'était pas sur la fréquence lorsque des camions de l'armée française transportèrent dans l'Ouarsenis (région de l'Algérie) plusieurs katibas (compagnies) de l'ALN (bras armé du FLN), autorisées par nos politiques à mettre à mort le dernier souffle de la France en Algérie, représentée dans le maquis par le commandant Bazin (voir son nom là) et ses hommes qui trouvèrent, eux, dans le dernier carré de l'honneur une dernière « parcelle de gloire ».
On n'entendit pas non plus Bruno lorsque l'Algérie d'Evian jeta dans les ports un million de français avec 20kg de bagages, et où des officiers livraient à la boucherie de l'ALN tous nos harkis, qui avaient cru en la France en osant prendre les armes avec elle et que, sur instructions au plus haut du « politique », on ne souhaitait en aucun cas voir rapatrier en France.
C'est nous alors, qui avons quitté la fréquence lorsque nous vîmes Bigeard quelques années plus tard dans un congrès d'une FNACA (Fédération Nationale des anciens combattants en Algérie) festoyant chaque 19 mars pour fêter la défaite de la France, le parjure de son armée et la liquidation dans l'horreur de nos camarades de combat.
Nous n'étions pas de ce monde-là, nous pour qui Bigeard était un dieu que nous rêvions « Maréchal de France », et s'il tombait nous lui voulions des obsèques nationales et un tombeau aux invalides ! Nous qui avions 15 ans à la chute de Diên Biên Phu, tellement pressé de faire Saint-Cyr ou Cherchel et tenter de lui ressembler. C'est avec tellement de tristesse que nous avons assisté au fil des années post 62 à un Bigeard « fabuleux homme de guerre » qui tombait en torche...
C'est un simple lieutenant, para lui aussi, fusillé au Fort d'Ivry*, qui est dans notre âme au panthéon de l'honneur, de nos armes, et de nos cœurs, n'en déplaise au silence de toutes les godilles aux carrières brillantes, et aux politiques qui ont signé le bilan d'une France vidée de ses valeurs et qui s'éteint lentement.
Bigeard est mort un 18 juin, date anniversaire de l'entrée en scène d'un autre acteur de notre histoire contemporaine auteur d'une tragique désillusion.
Alain BEAUMONT
* Lieutenant Roger Degueldre, assassiné le 6 juillet 1962.