VEF Blog

Titre du blog : Le blog d'un français non pratiquant
Auteur : abstentiovotepiednoir
Date de création : 21-03-2011
 
posté le 13-11-2011 à 08:47:06

Lettre d'un des derniers des mohicans...

 

 

Tribu en voie de disparition,

les dernières générations de témoins encore "génants "de l'Algérie Française avoisinent pour les plus jeunes les 65 ans .

Voici un texte anonyme qui résume bien le ressentiment de la grande majorité d'entre nous.

A mes amis français...

 

A quelques encablures de mes 70 ans, à un âge où les souvenirs se déclinent  plus aisément que les projets et après avoir épuisé mes capacités de  silence, je ressens le besoin d'éclairer un malentendu.

 En 35 ans de vie professionnelle, j'ai travaillé avec vous, milité avec  vous, partagé quelques succès et quelques épreuves, communié aux mêmes valeurs, au même humanisme.

 

J'ai bu à la coupe de ce bonheur de vivre en France, de s'étonner de ses richesses,

 de se pénétrer des mêmes émotions, au point que j'avais fini par oublier que j'étais né sur une autre rive, de  parents venus d'ailleurs et de grands-parents

à l'accent impossible d'une  Île de la Méditerranée.

 

 Je m'étais cru Français comme vous et j'avais cru achever ce travail de deuil

 commun à tous les exilés du monde. Et puis, depuis quelques mois,

des  maisons d'édition ont fait pleuvoir témoignages et réflexions sur la guerre  d'Algérie. Les chaînes de télévision et les radios ont commenté les ouvrages  et

refait l'Histoire de 134 ans de présence française en Algérie.

 

 Avec une étonnante convergence de vues, la plupart ont révélé, sur cette  période,

une vision singulièrement sinistre.

J'ai revu l'histoire de ma patrie,l'AlgérieFrançaise, travestie ou défigurée en quelques propositions  caricaturales :
 

 «La présence de la France en Algérie fut de tout temps illégitime»
 «Les Français d'Algérie ont exploité les Arabes et ont volé leurs terres»
 «Les soldats français ont torturé des patriotes qui libéraient leur pays»
 «Certains Français ont eu raison d'aider les fellaghas à combattre l'armée  française et peuvent s'enorgueillir aujourd'hui d'avoir contribué à la  libération de l'Algérie»." 


 Alors, j'ai compris que personne ne pouvait comprendre un pays et un peuple  s'il n'avait d'abord appris à l'aimer...

et vous n'avez jamais aimé "notre  Algérie" !
 
 Alors, j'ai compris pourquoi vous changiez de conversation quand

 j'affirmais  mon origine "pied noir" ;

j'ai compris que l'exode arménien ou l'exode juif  vous avait touchés

 mais que notre exil vous avait laissés indifférents.

 J'ai  compris pourquoi les maquisards qui se battaient pour libérer la France  envahie étaient des héros, mais pourquoi des officiers qui refusaient d'abandonner

ce morceau de France et les Arabes entraînés à nos côtés,  

étaient traités de putschistes.
 
 J'ai compris pourquoi des mots comme "colon" avaient été vidés de leur  noblesse et pourquoi, dans votre esprit et dans votre langage, la  colonisation avait laissé place au colonialisme.
 

 Même des Français de France comme vous, tués au combat, n'ont pas eu droit,  

dans la mémoire collective, à la même évocation que les Poilus ou les Résistants, parce qu'ils furent engagés dans une "sale guerre" !

 

Sans doute,  même si leur sacrifice fut aussi noble et digne de mémoire,

 est-il plus  facile de célébrer des héros vainqueurs que des soldats morts pour rien. 

 Dans un manichéisme grotesque, tout ce qui avait contribué à défendre la  France était héroïque ; tout ce qui avait contribué à conserver et à  défendre notre pays pour continuer à y vivre, était criminel...

 «Vérité en  deçà de la Méditerranée ; erreur au-delà !"

 Vous si prolixes pour dénoncer les tortures et les exactions de l'armée  française

au cours des dix dernières années, vous êtes devenus amnésiques
 sur les massacres et les tortures infligés par les fellaghas à nos  compatriotes européens et musulmans.

 

Vous ne trouvez rien à dire sur l'œuvre  française en Algérie pendant 130 ans.

 Pas un livre, pas une émission de  télévision ou de radio, rien !

Les fictions même s'affligent des mêmes  clichés de Français arrogants et de Musulmans opprimés.

 Ce qui est singulier dans le débat sur l'Algérie et sur la guerre qui a  marqué

la fin de la période française, c'est que ceux qui en parlent, en  parlent en étrangers comme d'une terre étrangère.

 

Disséquer le cadavre de  l'Algérie leur est un exercice clinique que journalistes, commentateurs et  professeurs d'université réalisent avec la froide indifférence de l'étranger.
 

 Personne ne pense qu'un million de femmes et d'hommes n'ont connu et aimé que cette terre où ils sont nés.

 Personne n'ose rappeler qu'ils ont été  arrachés à leur véritable patrie et déportés en exil sur une terre souvent  inconnue et souvent hostile ...

Quand certains intellectuels français se  prévalent d'avoir aidé le FLN, personne ne les accuse d'avoir armé les bras  des égorgeurs de Français ...

 

 Cette terre vous brûle la mémoire et le cœur ...

ou plutôt la mauvaise  conscience d'avoir bradé, dans la débâcle et le gâchis l'œuvre de plusieurs  générations de Français vous rend injustes, amnésiques, sélectifs dans vos  évocations ou pire falsificateurs !

 Je n'ai pas choisi de naître Français sur une terre que mes maîtres français  m'ont appris à aimer comme un morceau de la France.

 Mais, même si " mon Algérie" n'est plus, il est trop tard, aujourd'hui, pour que cette terre me  devienne étrangère et ne soit plus la terre de mes parents, ma patrie.
 
 J'attends de vous amis français, que vous respectiez mon Histoire même si  vous refusez qu'elle soit aussi votre Histoire.

Je n'attends de vous aucun complaisance mais le respect d'une Histoire dans la lumière de son époque et de ses valeurs, dans la vérité de ses réalisations matérielles,  intellectuelles et humaines, dans la subtilité de ses relations sociales,  dans la richesse et la diversité de son œuvre et de ses cultures.
 
J'attends que vous respectiez la mémoire de tous ceux que j'ai laissé là-bas  et dont la vie fut faite de travail, d'abnégation et parfois même  d'héroïsme.

 J'attends que vous traitiez avec une égale dignité et une égal exigence d'objectivité et de rigueur, un égal souci de vérité et de justice,  l'Histoire de la France d'en deçà et d'au delà de la Méditerranée.
 
 Alors, il me sera peut-être permis de mourir dans ce coin de France en m'y  sentant aussi  UN PEU  chez moi ... enfin !