VEF Blog

Titre du blog : Le blog d'un français non pratiquant
Auteur : abstentiovotepiednoir
Date de création : 21-03-2011
 
posté le 12-07-2012 à 04:48:23

Le silence se brise...

 

 

Les oubliés de l’Histoire : les disparus civils européens de la guerre d’Algérie

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Terrible silence que brise Jean-Jacques Jordi avec cet ouvrage(1)…

 

Est-il possible, 50 ans après  l’indépendance de l’Algérie, de lever le dernier tabou du conflit franco-algérien ? Faute de pouvoir redonner vie à ces disparus d’Algérie, l’auteur veut, au moins, porter ce fait à la connaissance des Français et inscrire dans l’histoire cette vérité :

« il y a eu beaucoup plus d’Européens enlevés et dont nous n’avons aujourd’hui aucune « trace » après  les accords d’Evian et après l’indépendance de l’Algérie qu’en pleine guerre ».

« A la veille du 19 mars 1962, les civils, européens comme musulmans, tués par le FLN et l’ALN (2) ont déjà payé un lourd tribut à la guerre. Les statistiques officielles donnent 2.788 Européens tués  et 375 disparus, et quelques 16.000 musulmans tués et 13.296 disparus ».

Peut-on déjà parler d’un conflit islamisé ? « Quand bien même les personnes( Européennes) avaient été tuées, il fallait faire en sorte que le corps, « non musulman » et la terre « musulmane » ne se rencontrent pas »… Mohamed Larbi (3)écrit : « Le FLN, a intégré la religion à son système d’autorité. Ses conceptions sur la guerre comme le djihad, sa tendance à voir dans l’opposition une déviation et une hérésie, son évaluation de la représentativité à partir du consensus, son approche du problème des minorités, enfin sa pratique de l’épuration comme élimination de l’impur, sont toutes empruntées à la tradition ».

Les enlevés ont quelquefois fini égorgés suivant la plus pure tradition djihadiste.

 

Et l’historien Guy Pervillé de conclure :

« En dépit des dénégations, les faits portent à croire que l’expulsion des «  pieds-noirs » et l’appropriation de leurs biens comme

«  butin de guerre » fut le principal but inavoué de la Révolution algérienne( analysant le propos de Ahmed Ben-Bella reconnaissant qu’il ne pouvait concevoir une Algérie  avec 1.500.000 pieds-noirs et celui de Ben Khedda qui avait réussi à déloger du territoire national, un million d’Européens Seigneurs du pays) ».

Veut-on chasser les infidèles de la terre musulmane, chasser les colons Seigneurs du pays et s’approprier leurs biens ? Pourtant nombre pieds noirs sont des gens de condition modeste, dont la famille d’Albert Camus en est un parfait exemple. On ne semble pas, en tout cas, souhaiter une cohabitation pacifique entre les deux communautés, alors que les accords d’Evian encouragent à la réconciliation.  Le résultat est là : en septembre  1962 il ne reste  plus que 150.000 Européens, les autres ont fui, contraints à ce funeste choix  : la valise ou le cercueil…. !

 

 

 

 

 

Les accords signés à Evian  comprennent deux parties: : « un cessez- le- feu, dont l’application est fixée au lendemain et des déclarations relatives à l’Algérie portant sur une période de transition jusqu’au référendum d’auto-détermination d’une durée  de 3 à 6 mois maximum ». Les accords prévoyaient aussi la libération des prisonniers ( des deux côtés) dans un délai de vingt jours et une mesure d’amnistie générale…. Les deux parties s’engageaient à interdire tout recours aux actes de violence collective et individuelle et, toute action clandestine et contraire à l’ordre public devait prendre fin » .

 

Pendant cette période, une commission mixte de cessez-le feu composée de  membres des deux  parties est , alors, chargée    de contrôler le bon déroulement du cessez-le feu, appuyée localement par de petits équipes   ( 2 membres pour chacune des parties). Ces commissions doivent se réunir régulièrement. Or peu de wilayas assument la fréquence de ces réunions. Si globalement la France respecte ses engagements, notamment en continuant de lutter contre le terrorisme résiduel de l’OAS, et en évitant tout geste qui puisse  empiéter sur le pouvoir des autorités algériennes,  les responsables actifs du FLN et de l’ ALN, eux, ne remplissent pas le rôle que leur assignent les accords d’Evian. Non seulement ils n’empêchent pas  les exactions contre les Européens (  atteintes aux personnes et aux biens, enlèvements, meurtres ), mais, au contraire, bien souvent,  s’en rendent largement coupables…. !

J-J Jordi souligne qu’à l’évidence  le  FLN et l’ALN ont été  les principaux acteurs de ces disparitions et attaques aux personnes et qu’à aucun moment, leurs dirigeants n’ont désavoué ces pratiques. Le but de faire partir les Français d’Algérie fut finalement atteint par la terreur instituée par le FLN.

 

L’ouvrage revient sur les raisons de tout ceci. Les oppositions de clans dans  les rangs algériens dont les responsables s’apprêtent à prendre le pouvoir, dans un véritable climat de fitna. Il dénonce la passivité du pouvoir français qui, face aux enlèvements de civils, ordonne de, surtout, ne rien tenter. Peu nombreux sont  les militaires qui désobéissent alors  aux ordres. L’auteur en cite, en exemple, quelques uns qui le font,  sauvant ainsi quelques centaines d’Européens d’un massacre certain les 5, 6 ,7 juillet à Oran notamment. Journées terribles durant lesquelles hommes, femmes, et quelquefois des enfants, Européens, sont  arrêtés sans  que l’armée leur vienne en aide.

Nombreux seront assassinés, des femmes seront violées on a parlé d’un charnier au Petit lac d’Oran. Si la presse métropolitaine fait, à l’époque, état de ces massacres, jamais le Gouvernement de l’époque n’agira,  jamais il ne communiquera  les chiffres des exécutions…

Ce sera le silence d’Etat, la grande muette gardera ses secrets. Même après l’indépendance, le Gouvernement français fera la sourde oreille quant aux disparitions de ressortissants européens qui continueront. Les chiffres seront contestés on renverra les familles plaignantes vers la  Croix Rouge,  véritable alibi.

 

Quelques élus s’inquièteront ensuite des disparus mais J-J Jordi écrit : «  Le but avoué du Gouvernement français était de faire table rase du problème des disparus afin de développer une plus forte coopération avec l’Algérie indépendante ».

Bien plus tard des associations de Pieds Noirs se mobiliseront ensuite pour demander le droit de parler, le droit de savoir, et le droit de disposer d’un lieu de mémoire. Naîtront alors des initiatives controversées.

 

 

 

 

En 2004 le Sénateur Maire de Perpignan  plante un olivier dédié à la mémoire des personnes disparues durant la guerre d’Algérie. Puis, le 25 novembre 2007 le Mémorial National des Disparus en Algérie( 1954 1963) est inauguré dans cette même ville. Il comportait l’inscription de 2670 personnes et quelques erreurs(certaines ayant quittées l’Algérie sans rien dire étaient vivantes). Aux yeux de certains, ce mémorial fit scandale, on y vit  un projet de réhabilitation de l’histoire coloniale, une action des nostalgiques de l’OAS,  et une relance des guerres mémorielles! J-J Jordi écrit : « Reconnaissons toutefois que,  malgré ces erreurs, que les familles des disparus de Perpignan  le  considère comme la seule reconnaissance de leur drame pointant du doigt l’absence d’une politique mémorielle nationale de la part des Gouvernements depuis 62. Il convient de le souligner ».

 

C’est toute cette partie des évènements de la guerre ( notamment ceux post- accords d’Evian) que l’auteur pense juste et indispensable  de mettre en lumière. Son livre s’appuie sur un travail minutieux de recherche documentaire, d’ouvrages parfois contradictoires déjà publiés, de recoupements, des données  de la Croix-Rouge. L’ouvrage dresse la liste des  noms des  1583 personnes disparues présumées décédées, des 171 personnes dont le sort est incertain encore à ce jour, des 123 personnes dont les corps ont été retrouvés et inhumés ( soit en Algérie, soit par rapatriement des corps) chiffres que l’auteur estime communiquer en restant  au plus près de la réalité.

Pourquoi y a-t-il eu ce long silence, cette interdiction de parler de ces tués et disparus ? Ne fallait-il que de bonnes victimes, toutes Algériennes,  pour entrer dans le schéma de l’Histoire officielle ?

Fallait-il taire cette partie des évènements d’Algérie ?  Quelques historiens se sont attelés à la tâche mais peu de médias leur ont vraiment ouvert les portes. L’auteur, lui aussi  historien des migrations de la Méditerranée, pense qu’il est temps de rappeler ces faits,  ils  font aussi, de son point de vue,  partie de l’Histoire et ne doivent pas être occultés. Ce livre intéressera d’abord les pieds-noirs, mais il n’est pas écrit que pour eux bien sûr.

Pour les  autres lecteurs, il permettra de mieux comprendre cette population rapatriée, souvent encore si mal considérée, à laquelle l’ensemble de la société française n’a jamais vraiment montré beaucoup d’empathie face à son drame et à ses blessures. Il nous permettra  surtout  de connaître une vérité que l’on  nous a longtemps cachée, au nom de quoi ? Du besoin de tourner la page ? Du devoir de repentance obligatoire ? Des fautes et de la passivité des pouvoirs en place à l’époque  dont personne ne devait jamais connaître l’ampleur ? De la Raison d’Etat ? ». On comprend bien que ce n’était pas trop du côté algérien qu’il fallait attendre cette vérité là !

La mémoire de l’Histoire  est-elle affaire de vécu, de douleur individuelle,  ou affaire d’historiens patentés?  A-t-elle un  seul visage, est-elle multiple ?  C’est un peu à cette réflexion-là, aussi,  que nous amène ce livre.

 

Chantal Crabère

 

(1) Un silence d’Etat – Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie de Jean-jacques Jordi aux Editions SOTECA

(2) FLN Front de Libération nationale / ALN Armée de Libération Nationale

(3) Extrait de : Le FLN, mirage et réalités, des origines à la prise de pouvoir (1980)